Malgré
ses 25 années d'existence commerciale et son essor fulgurant, il est regrettable
de constater que le jeu vidéo souffre encore d'une image négative,
véhiculée par une poignée de détracteurs dont le discours
s'appuie sur un certain nombre de préjugés récurrents qui
commencent à bien faire.
Pourquoi
diable n'entendons nous pas davantage parler des vertus du jeu vidéo ?
Après tout, ce loisir, au même titre que tous les jeux en général,
constitue un bon moyen d'apprentissage de l'échec et de la persévérance.
De même, il participe au développement des réflexes, de la
dextérité mentale, de la capacité de concentration. Observation,
élaboration d'hypothèses, prise de décision, expérimentation,
une partie de jeu vidéo équivaut à une intense séance
de gymnastique cérébrale. Pour s'en apercevoir, il suffit de pratiquer.
Mais on peut toujours rêver.
Bien qu'à ce jour aucune étude scientifique n'ait été
en mesure d'établir un lien de cause à effet entre la violence des
jeux vidéos et celle dans la réalité, une partie de l'opinion
continue à prétendre le contraire. Difficile, dans ces conditions,
de prendre au sérieux l'inquiétude de cette population non-initiée,
à qui l'interactivité des nouveaux médias fait peur. Et qui
a tort d'avoir peur.
L'attirance
de l'homme pour la violence date probablement de sa prise de conscience de la
notion du bien et du mal, sur la base de laquelle il a établi un certain
nombre de règles sociales qu'il apprécie à leur juste valeur,
mais malheureusement parfois contradictoires avec ses pulsions animales latentes
plus ou moins faciles à rationaliser. C'est
pour cette raison que donner aux joueurs la possibilité d'être les
acteurs principaux d'univers virtuels violents reste un important (si ce n'est
primordial) champ d'application de cette formidable forme de contrôle de
l'image. Evidemment,
la communauté des joueurs, traditionnellement jeune et masculine, n'encourage
pas vraiment l'industrie à proposer de réelles alternatives à
ces quelques vieux schémas simplistes se faisant l'écho d'un éternel
et important besoin de jouer les héros et d'exorciser ses peurs en se racontant
des histoires morbides. Mais la bande dessinée, les films d'horreur, la
littérature policière, ou encore les contes de fées remplissent
exactement la même fonction et occupent le créneau depuis des lustres.
De ce point de vue, le jeu vidéo n'a rien inventé.
Si cet art ne
flatte pas les sentiments les plus nobles de l'humanité, il est
néanmoins porteur d'un signe de sagesse : mieux vaut reconnaître et
exprimer sa part d'agressivité dans le cadre bien délimité d'un jeu,
plutôt que de la refouler et prendre le risque d'en perdre le contrôle.
Nier cette fascination que la violence exerce dans une certaine mesure
sur nos imaginaires, c'est déjà faire un pas en arrière dans la
connaissance de soi, s'exposer aux refoulements, et donc aux surprises.
C'est la porte ouverte aux actes violents impulsifs, expressions de
frustrations intérieures dont les sujets ne sont pas mentalement armés
pour en venir à bout de manière raisonnable.
Quand on
y regarde de près, il n'y a pas plus de violence entre deux personnes qui
s'affrontent dans un jeu de baston qu'entre deux individus qui échangent
leurs points de vue au cours d'une discussion animée. Dans les deux cas,
l'évacuation de pulsions agressives à laquelle nous assistons relève
d'un même mécanisme. La
violence reste abstraite, contenue dans un cadre consensuel raisonnable, précis
et sans danger. En l'occurrence, nous avons d'un côté la joute orale
et le poids des mots, de l'autre un écran et deux paddles. Car les gens
ont, en général, l'intelligence instinctive de préférer
des formes de violence qui en restent au stade de l'idée. En cela, les
jeux de tir à la Quake ou à la Tomb Raider reflètent à
merveille cette prudence naturelle qui nous guide au cours de l'existence. C'est
tellement plus confortable de jouer les aventuriers ou les gros bras lorsqu'on
sait qu'il n'y a aucun risque de souffrance et pas de réel engagement physique.
Il est
temps de reconnaître que les joueurs, afin d'étancher leur soif d'action
et d'émotions fortes, ont l'intelligence d'opter pour des formes de violence,
ou de vitesse, imaginaires, certes pas très courageuses, mais qui ne présentent
pas tous les inconvénients de la violence effective. Choisir le jeu vidéo
pour canaliser son agressivité, c'est avoir conscience du double pouvoir
dissuasif de la douleur : peur des sensations pénibles et refus de transgresser
pour de vrai les règles morales. Déambuler dans les couloirs sinistres
de Resident Evil, ou de Sanitarium, c'est avant tout jouer avec sa peur, ce qui
revient à lui donner beaucoup d'importance. Bref,
tout le contraire d'une quelconque tendance insidieuse de mise en sourdine de
cette sirène d'alarme universelle qui fait partie intégrante du
comportement de la plupart des organismes vivants. Nous sommes aux antipodes de
la désensibilisation de l'individu à la souffrance mentale et physique
qui caractérise certains actes violents et qu'on voudrait bien imputer
à l'informatique de loisir.
Au regard de l'ensemble de la production
du jeu vidéo, on est forcé d'admettre que le genre "c'est cool
d'écraser les piétons" reste très exceptionnel. La présence
d'éléments provocateurs est parfois même involontaire, simplement
due à une perception des symboles différente, attribuable
au décalage entre cultures américaine, européenne ou japonaise,
comme ce fut le cas avec les croix gammées dans Wolfenstein 3D, un jeu
en provenance des Etats-Unis. L'utilisation de ces bannières fascistes
dans un environnement de jeu vidéo a eu une connotation bien plus forte
dans les consciences collectives européennes. Attention, il ne s'agit en
aucune manière de justifier une idéologie abjecte (d'ailleurs, les
soldats allemands jouaient le rôle des méchants) mais de bien comprendre
que le poids d'un symbole dépend étroitement de l'ampleur de son
implication et du sens que lui attribuent des esprits baignés dans une
culture et un contexte historique donnés. Par exemple, même si nous
autres, européens, savons tous que le drapeau sudiste fait référence
à un courant esclavagiste, notre connaissance du sujet reste globalement
superficielle, ne serait ce que pour son rapport lointain avec notre propre histoire,
ne nous permettant pas de mesurer la réelle puissance emblématique
de cette bannière.Peu d'éditeurs
font le choix d'exploiter des éléments choquants ou particulièrement
amoraux dans le seul but de satisfaire à une demande marginale des amateurs
du mauvais goût et du second degré. Ils savent que pour trouver grâce
aux yeux d'une majorité de joueurs, mieux vaut faire appel à un
sens des valeurs plutôt conforme aux bonnes vieilles recettes, mettant en
scène l'héroïsme, le courage, la ténacité et
la ruse.
Par exemple, on ne peut pas réfuter qu'il existe dans tous les
jeux de baston une volonté flagrante d'illustrer le vieil archétype
de la revanche de David contre Goliath. Les personnages les plus répandus
sont représentés comme de vrais athlètes, mais le profil
"montagne de muscles" n'est pas vraiment à l'honneur dans les
jeux de combat. En règle générale, les personnages massifs
ne constituent qu'une petite partie du panel. Jeunes filles, adolescents, vieillards
sont largement valorisés et revendiquent sans complexes leur place sur
le ring, palliant le handicap de leur faible constitution par des techniques de
combats et les coups qui font appel à la rapidité et la surprise,
plutôt que la force pure non canalisée. Eh
oui, même s'ils ne sont que des caricatures de récit, les jeux vidéos
les plus fédérateurs respectent la vieille tradition des bons qui
gagnent toujours à la fin. Plutôt rassurant, non ?
Parents, professeurs, non-usagers,
quelque soient les raisons pour lesquelles l'innocence du jeu vidéo vous
échappe, il est temps pour vous de tirer un trait sur vos a priori. Un
jeune, qui a choisi d'investir plusieurs centaines de francs dans un logiciel
de type Time Crisis et qui passe quelques heures à tirer sur son téléviseur
avec un flingue en plastique fait preuve d'un recul par rapport à la violence
et à la puissance symbolique des armes à feu qui lui rend hommage.
Tandis que le possesseur de la moindre carabine à plomb, du moindre lance-pierres,
même s'il se croit parfaitement raisonnable, s'est donné le droit
d'avoir à sa disposition un ustensile qui conserve un potentiel de violence
concrète, dont il peut éventuellement se servir pour faire un carton
sur des lézards ou des oiseaux...
Il
y a un réel danger dans cette tentative de censure de la violence dans
le jeu vidéo, alors que celle-ci appartient strictement au domaine du
jeu, de l'idée et de l'image, sans aucun rapport avec la réalité. L'air
de rien, cette croisade témoigne d'une volonté pour le moins discutable
de s'immiscer dans la tête des gens afin d'imposer des limites à leurs
délires imaginaires exutoires, ce qui revient à toucher à leur liberté
de penser.
Source : www.grospixels.com